Les institutions de contrôle de la RDC : Quel degré d’indépendance ?


A voting station in the DRC

Le président sortant de la République démocratique du Congo, Joseph Kabila, aura terminé son second mandat de cinq ans en décembre 2016. Il devrait à ce moment avoir aussi supervisé le tout premier transfert de pouvoir pacifique en République démocratique du Congo. Les élections prévues pour novembre ont toutefois été retardées et il est fort préoccupant que le parti dirigeant tente de prolonger indéfiniment sa présence au pouvoir.

Le défi des leaders africains prolongeant leur mandat n’est pas nouveau. Une quinzaine de présidents en exercice ont tenté de le faire depuis que le continent a débuté son mouvement vers la démocratisation dans les années 1990. Leur réussite dans ce domaine dépend fortement de la robustesse des institutions en place visant à restreindre cette ambition. La capacité des institutions clés à appliquer les freins et contrepoids au pouvoir exécutif est ainsi une forme d’évaluation de la santé de toute démocratie. Cet examen évalue l’état de telles institutions en République démocratique du Congo (DRC) et leur capacité à assurer un processus électoral participatif et équitable.

La capacité des institutions clés à appliquer les freins et contrepoids au pouvoir exécutif est ainsi une forme d’évaluation de la santé de toute démocratie.

Le Parlement

Une législature nationale représentative est souvent le premier contrôle institutionnel sur la branche exécutive.

Le Parlement de la RDC était une création du Dialogue intercongolais (DIC), un règlement négocié de la guerre civile de 1998-2003 marquée par sa brutalité, ses pertes de vies et l’intervention de pays voisins. Le DIC incluait le gouvernement non élu, des groupes armés, l’opposition politique et la société civile. À l’Assemblée nationale qui a émergé de ces discussions, le gouvernement ne représentait qu’une minorité détenant seulement 94 des 500 sièges en vertu des termes de l’accord. Les autres sièges allèrent à l’opposition armée et non armée et à la société civile. L’opposition politique contrôlait par ailleurs le puissant bureau du porte-parole du Parlement. La société civile ainsi que les partis d’opposition ont remporté la majorité au Sénat, contrôlant sept comités de surveillance et détenant les secrétariats du Parlement et du Sénat établis par le DIC.

Vital Kamerhe is widely credited with giving all parties access to the floor and instituting open debate and rigorous oversight.

Vital Kamerhe is widely credited with giving all parties access to the floor and instituting open debate and rigorous oversight. Photo: Michał Koziczyński.

En 2006, au terme des trois années de transition, d’importantes avancées avaient été enregistrées en matière de démocratisation grâce aux dispositions du DIC. Les progrès se sont poursuivis après les élections de cette même année, les parlementaires bénéficiant d’une forte indépendance utilisée pour superviser et surveiller le pouvoir présidentiel. Mvemba Dizolele, enseignant congolais, signale que dès 2009, les parlementaires avait signifié à l’exécutif de bien vouloir répondre à 43 « questions orales à débattre » sur toute une diversité d’enjeux. Pendant ce temps, l’Assemblée nationale et le Sénat ont mis en place 28 comités indépendants pour enquêter sur toute faute de la branche exécutive. On attribue à Vital Kamerhe, alors porte-parole, le fait d’avoir donné à tous les partis accès au Parlement, et d’avoir institué un débat ouvert et une surveillance rigoureuse.

Ces progrès ont malheureusement été éphémères. Les alliés de Kabila ont réduit le pouvoir du Parlement par diverses actions légales et administratives. En milieu d’année 2009, Kamerhe a été chassé après une série de désaccords avec le président sur des enquêtes en cours. Après son départ, les sauvegardes cruciales mises en place par le DIC ont été démantelées.

Cette spirale descendante s’est poursuivie pendant le cycle électoral de 2011 durant lequel le parti au pouvoir et ses alliés ont tenté d’abréger les limites constitutionnelles au profit de la branche exécutive. Au cours de ce processus par exemple, les loyalistes de Kabila poussèrent de nombreux projets de loi qui firent pencher l’environnement politique en faveur du président, notamment la suppression de la disposition d’une règle de scrutin à deux tours, permettant ainsi à un candidat à la présidence d’être élu avec seulement une pluralité des voix. En l’espace d’une semaine, la décision est passée au Parlement après le retour, en décembre 2010, du leader de l’opposition Etienne Tshisekedi.

Des milliers de personnes l’accueillirent à l’aéroport où il annonça qu’il se présentait comme candidat à la présidence après des années à l’étranger. Aujourd’hui, le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) de Kabila et ses alliés contrôle 341 des 500 sièges de l’Assemblée nationale – une super-majorité. Cet avantage est dû à une élection contestée en 2011, entachée de fortes irrégularités, notamment la « perte de résultats » de plus de 3000 bureaux de vote, soit plus de 850 000 électeurs. Mvemba Dizolele, enseignant congolais, signale qu’au Katanga, bastion de Kabila, la participation électorale enregistrée a été anormalement élevée, dépassant les 100 % dans certains cas. La quasi-totalité de ces voix étaient en faveur du président sortant.

Ces manœuvres se poursuivent pendant la crise actuelle et continuent d’endommager la crédibilité du processus parlementaire. Le 14 avril 2016, les loyalistes de Kabila au Parlement ont déposé une pétition auprès de la Cour constitutionnelle demandant des éclaircissements sur trois dispositions constitutionnelles apparemment contradictoires. L’Article 70 impose une limite de deux mandats de cinq ans au président. L’Article 73 exige des élections dans un délai de 90 jours précédant l’expiration du mandat présidentiel. Et l’Article 75 exige du président qu’il confie les rênes du pouvoir au président du Sénat durant les élections. L’Article 70 déclare toutefois que le mandat du président expire une fois que le vainqueur est déclaré et assume le pouvoir. Les représentants du parti au pouvoir ont profité de ces incohérences pour saisir la Cour constitutionnelle. Les législateurs de l’opposition ont immédiatement crié à l’injustice, interprétant cette action comme une tentative visant à éviter les dispositions de limite de mandats. Leurs soupçons se sont confirmés le 11 mai 2016 quand la Cour constitutionnelle a conclu que Kabila pouvait effectivement rester au pouvoir au terme de son mandat si les élections présidentielles étaient repoussées.

En résumé, la super-majorité dont a bénéficié le PPRD, réalisée dans des circonstances controversées, a rejeté le rôle que doit assumer le Parlement par sa supervision du pouvoir exécutif en RDC.

Pouvoir judiciaire

Tandis que la notion de Cour constitutionnelle était introduite dans la Constitution de 2005, le projet de loi autorisant la Cour ne fut adopté qu’en 2010 par le Parlement dominé par le PPRD, et ce n’est qu’en 2013 que le Président Kabila a promulgué la loi. La Cour n’est devenue pleinement opérationnelle qu’en 2015, dix ans après sa création. Trois de ses neuf juges ont été sélectionnés par le Parlement sous contrôle de Kabila, trois par le président lui-même et les trois autres par le Conseil judiciaire, un organe constitué d’alliés de Kabila, notamment le puissant président de la Cour suprême.

Ce manque d’indépendance a été confirmé par les décisions de la Cour. Le 8 septembre 2015, la Cour a conclu que Kabila pouvait nommer des gouverneurs intérimaires dans 26 nouvelles provinces créées par une disposition constitutionnelle de 2006 pour diviser les 11 provinces du pays. L’opposition a soutenu que la nomination des gouverneurs intérimaires était antidémocratique et donnait un injuste avantage au PPRD. En mars 2016, un grand nombre des candidats retenus ont remporté les élections aux postes de gouverneur ; les partis d’opposition ont été exclus ou ont boycotté ces élections organisées à la hâte. Compte tenu de ces évènements, il n’a pas été surprenant qu’en mai 2016, la décision de la Cour valide la présence de Kabila au pouvoir jusqu’à l’organisation d’élections.

 

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Provinces of the DRC. Images by Golbez and ACAPS.

The Supreme Court is the other key national judicial institution in the DRC. In late August 2016, under intense pressure by civil society and the international community, the Court ordered the release of three prominent pro-democracy leaders on the grounds that the conditions of their year-long incarceration were illegal. On balance, however, the Supreme Court is viewed as partisan. In 2011, it upheld Kabila’s re-election and ruled that the opposition failed to prove its case in challenging the results. The decision increased the perception of bias among Kabila’s opponents given that in the middle of the 2011 campaign, Kabila expanded the Court from seven judges to 27.

The new judges, all appointed by the president, cited the need for more manpower to handle thousands of complaints that had been filed. Opponents also criticized the new judges’ method of appointment. Under normal circumstances, Supreme Court justices are named by the president only after nomination by the Supreme Council of Magistrates.

Taken together, the DRC’s judiciary suffers from the same systemic defects as the legislative branch. The dominant influence of the executive has hindered the independence of the country’s leading judicial institutions and rendered them unable to fulfill their mandate of holding the executive branch to account.

Commission électorale

La Commission électorale nationale indépendante (CENI) avait initialement projeté de tenir un scrutin pour les gouverneurs le 31 août 2015. Des élections provinciales, sénatoriales et parlementaires suivraient dans la première moitié de 2016, et les élections présidentielles auraient lieu fin 2016. Toutefois, le 8 septembre 2015, la Cour constitutionnelle a ordonné à CENI de réviser le programme électoral, citant le besoin de « désengorger le calendrier électoral ». Les scrutins des gouverneurs ont alors été repoussés au 25 octobre 2015, puis de nouveaux retardés pour cause de contraintes budgétaires. Le 2 mars 2016, le président a ordonné la date butoir du 30 juillet pour finalement mettre en œuvre la disposition constitutionnelle de 2006 de créer plus de provinces, politique connue comme étant celle du découpage. Afin de se conformer à cette politique, la CENI  a organisé les élections des gouverneurs le 26 mars 2016 un processus à budget insuffisant et mis en place à la hâte qui consiste à retracer les frontières et organiser des scrutins dans 20 nouvelles provinces. Il en résulta une victoire écrasante du PPRD sur l’ensemble des juridictions, à l’exception de cinq d’entre elles, augmentant ainsi son contrôle sur les zones reculées.

Les bastions de l’opposition, tels que le Katanga, la province la plus riche du pays qui fournit 68 % des revenus du pays, ont été partagés en plus petites entités, permettant ainsi au président de diminuer le pouvoir de ses opposants politiques. Le Katanga est particulièrement significatif car il est actuellement la base de Moise Katumbi, l’ex-gouverneur populaire de la province, ancien allié de Kabila. Le Katanga a été partagé en quatre localités, ce qui a entraîné le retrait de Katumbi et l’installation de quatre gouverneurs sympathisants du PPRD, tous bénéficiaires du découpage. Outre l’accroissement du contrôle de juridictions essentielles par le parti au pouvoir, cette politique a aussi virtuellement assuré le bouleversement de l’agenda électoral présidentiel.

Ces manœuvres ont coïncidé avec une série de troubles internes au sein de la CENI. En octobre 2015, Kabila, lors d’une déclaration télévisée par son bureau de presse, a annoncé la démission pour raisons de santé d’Apollinaire Malu Malu, le président, tenu en haute estime, de la commission. Bien que Malu Malu ait été souffrant depuis plusieurs mois, son départ parut suspect et s’accompagna des démissions du vice-président et du trésorier de la CENI. Malu Malu a été fortement reconnu comme ayant organisé les élections du Congo en 2006 (les premières élections depuis l’indépendance du pays en 1960). Il réintégra la CENI en 2013 après sa nomination par la société civile et les organes religieux puis sa nomination par le président, conformément à la loi. Suite au départ de Malu Malu en 2015, Kabila a nommé un nouveau leader de la CENI, fortement pressenti comme étant un sympathisant du PPRD.

En effet, la politisation apparente du leadership de la CENI ainsi que de graves contraintes sur les ressources ont fortement remis en question la capacité et l’intégrité de la CENI à superviser un processus électoral équitable.

Dans l’intervalle, la CENI disposait toujours d’un registre électoral incomplet et de soucis financiers et logistiques. Dans une lettre apparue peu après la démission de Malu Malu, la commission déclarait qu’elle n’avait pas reçu le financement alloué, jetant encore plus d’incertitude sur les élections. Les ressources de la commission émanent du budget national qui est approuvé sur une base annuelle par le Parlement. La CENI a déclaré qu’elle avait reçu moins de 20 % de son appropriation et qu’elle était par conséquent incapable de fonctionner correctement. En février 2016, la CENI a subitement annulé une offre de révision du registre électoral, citant le besoin d’ajuster à la baisse le budget prévu. Elle a également annoncé qu’elle aurait besoin d’un minimum de 18 mois pour mettre à jour la liste électorale.

Fin septembre, le vice-président de la commission, Norbert Basengezi Katintima, a déclaré à la presse durant une visite en Afrique du Sud que les élections présidentielles auraient maintenant lieu en 2018 et que l’inscription sur les listes électorales avait débuté dans certaines localités. Il a aussi maintenu que le « principal défi » du gouvernement consistait à financer les élections, « qui coûteront 1 milliard de dollars. »

En effet, la politisation apparente du leadership de la CENI ainsi que de graves contraintes sur les ressources ont fortement remis en question la capacité et l’intégrité de la CENI à superviser un processus électoral équitable.

Partis d’opposition

En septembre 2014, des dissidents du parti au pouvoir ont rejoint les rangs de législateurs de l’opposition pour combattre une motion parlementaire sur un référendum visant à retarder les élections. En janvier 2015, ils se sont à nouveau ralliés pour soutenir d’importantes manifestations populaires qui ont forcé le parlement à retirer une clause de la loi électorale qui aurait exigé un recensement national et accordé à Kabila deux à quatre années supplémentaires au pouvoir. Quelques mois plus tard, un groupe de sept partis politiques, le G7, s’est séparé de la coalition au pouvoir, le signe de dissension au sein du parti au pouvoir et une éventuelle aubaine pour les députés de l’opposition.

Historiquement, la constitution de coalition entre partis de l’opposition a toujours été problématique. Cependant, pour les élections à venir, les initiatives de l’opposition semblent se concentrer sur la création d’alliances. En juin 2016, les partis de l’opposition se sont réunis afin de coordonner une stratégie lors d’une retraite organisée par Tshisekedi. De cette réunion est né le Rassemblement, qui a rallié autour d’une seule plateforme les principales coalitions – le G7, l’Opposition dynamique, l’Alternative 2016, et l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) de Tshisekedi.

L’UDPS a de solides antécédents en matière d’opposition depuis l’ère de Mobutu et bénéficie de 45 millions de membres. Sa forte capacité de mobilisation a joué un rôle primordial dans les vastes mouvements de protestation organisés dans plusieurs villes, notamment le mouvement « ville morte » qui mit Kinshasa, ville tentaculaire de plus de 11 millions d’habitants, au point mort  début août 2016. Ce mouvement de protestation devait rassembler Tshisekedi et son collègue, Katumbi, pressenti comme étant le plus sérieux adversaire de Kabila. Toutefois, le gouvernement refusa l’entrée au pays de l’ex-gouverneur du Katanga qui avait reçu des soins médicaux à l’étranger. Katumbi a depuis annoncé sa détermination à rentrer en RDC malgré sa condamnation par contumace pour des accusations qu’il a rejetées comme étant à caractère politique.

L’Union africaine tente de réunir les partis politiques d’opposition et le parti au pouvoir autour d’une même table afin de négocier un règlement. Ce processus a été rejeté par le Rassemblement, précisant que l’idée d’une médiation est en soi trompeuse car elle ouvre la voie à une justification des manœuvres de Kabila pour rester au pouvoir. Une coalition plus restreinte a cependant rejoint le dialogue. Ces discussions ont été suspendues mi-septembre 2016 lors d’une flambée de violence suite à des tirs à balles réelles par la police durant une vaste manifestation organisée par le Rassemblement qui a fait 44 victimes parmi les protestataires.

En résumé, les institutions de contrôle de la RDC sont faibles et ont été activement déstabilisées par le parti au pouvoir dans ce qui apparaît comme un effort systématique de prolonger ou de contourner les limites de mandats. Certains ont caractérisé le processus de « coup constitutionnel ». Compte tenu de la faiblesse de ces institutions formelles, les espoirs d’une réelle transition démocratique en RDC se fondent largement sur la force et la résistance de la société civile, le professionnalisme du secteur de la sécurité et la position des acteurs régionaux et internationaux.

Cet article est le second d’une série qui analyse les défis actuels auxquels se trouve confronté le processus démocratique en République démocratique du Congo, et comment divers acteurs et institutions vont déterminer l’issue.

Part 1:Drame en perspective en République démocratique du Congo
Part 2: Les institutions de contrôle de la RDC : Quel degré d’indépendance ?
Part 3: Le rôle de la société civile dans la prévention de l’instabilité en RDC
Part 4: Les institutions du secteur de la sécurité et la crise politique de la RDC
Part 5: The Role of External Actors in the DRC Crisis

Experts du CESA

Ressources connexes